'Coopératives agricoles: la grande panne du modèle de gouvernance'- Article février 2023

Bonjour à tous,

Voici cet article que je mets en partage. Je ne sais pas vous mais moi ca fait tilt à chaque paragraphe.

La typologie des membres qui est dressée sous le prisme de l’engagement et de la présence est très intéressante.
Je découvre aussi les travaux de la philosophe Joëlle Zask et son essai : Participer, les formes démocratiques de la participation

Ca fait réfléchir sur nos propres projets. J’espère que cet article vous parlera et fera réagir !
Nadia

Coopératives agricoles : la grande panne du modèle de gouvernance (theconversation.com)
Auteur : Xavier Hollandts Professeur de stratégie et entrepreneuriat, Kedge Business School

Les coopératives agricoles représentent aujourd’hui la moitié des activités agricoles mondiales. Fondées par des agriculteurs, qui seront à l’honneur comme chaque année fin février à l’occasion du Salon de l’agriculture de la porte de Versailles, à Paris, les coopératives conservent un système de gouvernance original qui permet la représentation des intérêts des paysans.

Leur stratégie s’inscrit généralement dans le long terme et dans une perspective moins financiarisée que leurs homologues privés et cotés. Les choix stratégiques des coopératives sont donc déterminants à la fois pour la qualité de notre alimentation comme pour les sujets relatifs à la durabilité et à la souveraineté alimentaire.

À la différence des autres entreprises, le bon fonctionnement des coopératives repose sur un pilier essentiel, qui conditionne leur développement et leur gouvernance : l’engagement réel et effectif de leurs adhérents. Les adhérents ont la particularité d’entretenir une triple relation avec la coopérative : ils sont détenteurs de parts sociales, fournisseurs (ils apportent leurs récoltes afin qu’elles soient vendues ou valorisées) et également clients (ils achètent des produits et services à la coopérative). Du fait de cette triple fonction, l’engagement des adhérents est crucial pour que la coopérative, par le biais de sa gouvernance, soit en mesure de concevoir et de mettre en œuvre une stratégie pertinente, porteuse de sens et qui bénéficie également aux membres de l’organisation.

Or, depuis plusieurs années, des chercheurs, des observateurs mais aussi les représentants des coopératives elles-mêmes tirent la sonnette d’alarme : les adhérents sont de moins en moins engagés, désertent parfois les réunions et participent très peu aux élections jusqu’à devenir parfois des passagers « fantômes ».

Des coopérateurs de moins en moins engagés

Selon les derniers chiffres de l’Observatoire de la gouvernance des coopératives agricoles, 75 % des coopératives interrogées (764 coops soit 83 % du chiffre d’affaires du secteur coopératif), identifient un risque important lié à l’engagement des adhérents. Cela se traduit notamment par une faible participation aux instances essentielles de la coopérative (assemblée générale et/ou de section). Le taux de participation chute en dessous de 25 % des membres dès le seuil de 75 millions de chiffre d’affaires franchi.

Cette même inquiétude était partagée dans le rapport de la récente mission parlementaire portant sur « le secteur coopératif dans le domaine agricole ». Ainsi peut-on y lire :

« La faible participation en assemblée générale, parfois réduite en moyenne à 20 % pour les grandes coopératives, traduit une certaine distension du lien entre les associés coopérateurs et les coopératives, en particulier dans les plus grandes d’entre elles ».

La faible représentation des adhérents pose évidemment un problème politique majeur dans des organisations démocratiques, chaque adhérent n’ayant qu’une voix, quel que soit le nombre de parts sociales détenues. En effet, comment justifier et rendre légitime des décisions s’appliquant à l’ensemble des adhérents quand seule une petite minorité est présente à l’heure des décisions ? Cela renvoie à une forme de « tyrannie » de la minorité et interroge les fondements mêmes de la coopérative.
Face à ce constat inquiétant, comment relever le défi de l’engagement des adhérents ? La recherche en sciences sociales s’est penchée de longue date sur le sujet. L’engagement revêt trois dimensions majeures : une dimension affective (attachement émotionnel et sentiment d’appartenance) ; un engagement normatif (je me dois de rester dans l’organisation) ; et une dimension de continuité (je n’ai pas d’autres choix que de rester ou si je souhaite partir cela m’est relativement coûteux).

La situation idéale est évidemment constituée par un alignement de ces trois dimensions. En revanche, si une des dimensions est manquante ou pénalisée, c’est l’engagement global des individus qui peut être significativement affecté.

Le risque d’un cercle vicieux

Au terme d’un travail de terrain, notre recherche récente nous a permis de dégager une typologie des adhérents de coopératives. Le désengagement se manifeste de diverses façons. Au-delà des adhérents les plus désengagés (les « absents »), deux cas de figure intermédiaires relèvent de formes intermédiaires et pernicieuses du désengagement.



Typologie des adhérents de coopératives. Auteur.

Nous avons observé des adhérents faisant plus ou moins acte de présence mais qui ne s’investissent jamais dans leur structure ou ne participent pas à l’effort collectif, ce sont en quelque sorte des présents « passifs » et très peu moteurs (les adhérents « passifs »).
À l’inverse, nous avons observé des adhérents investis sur le terrain ou auprès de leurs collègues mais peu présents dans les instances ou ne souhaitant pas exercer de fonction ou de mandat (les adhérents « discrets »).

Or, il est absolument vital que les coopératives puissent s’appuyer sur des adhérents qui s’investissent, consacrent du temps et de l’énergie à leur coopérative et qui participent en même temps aux assemblées afin de légitimer la prise de décision qui en découle. À défaut, c’est bien un véritable cercle vicieux du désengagement qui est susceptible de se mettre en place.

En effet, les adhérents risquent d’être insatisfaits et d’être encore moins représentés, ce qui les conduit à ne plus croire au système politique de la coopérative et les incite à se désengager davantage au point de devenir des adhérents fantômes. Dans ce cas de figure, la coopérative est vidée de sa substance réelle, de sa nature coopérative et se retrouve livrée au bon vouloir d’une poignée d’élus ou de dirigeants. Il y a alors un risque fort de dérive « autocratique » ou de personnalisation du pouvoir, à l’opposé des principes coopératifs, qui sont, par essence le collectif et la démocratie.

Quelques pistes de solution

Face à ce constat (qui certes simplifie la diversité des situations), les coopératives, les élus et les adhérents peuvent cependant explorer quelques pistes.

En premier, sur ce qui fonde l’engagement des individus. Les coopératives doivent permettre le développement de la triple dimension de l’engagement : affectif, normatif et continuité. Concrètement, cela passe par la fierté et le sentiment d’appartenance. Ce qui suppose que les adhérents se sentent bien « traités » (notion de justice) et qu’ils se projettent avec fierté dans les projets portés et développés par leur coopérative.

À cette condition, ils seront en mesure d’avoir un engagement normatif et de s’inscrire dans une relation de continuité voulue et non subie avec leur coopérative. Au-delà du contrat liant juridiquement l’adhérent à sa coopérative, un « contrat psychologique », qui comprend les attentes non formalisées, se superpose et peut éventuellement évoluer en devenant de nature plus transactionnelle alors qu’il est idéalement de nature relationnelle.

Mais tout ne repose pas uniquement sur l’animation de la vie coopérative. Dès l’accueil des nouveaux adhérents comme à certains moments clés de l’année, il peut être utile de rappeler ce que « participer » veut réellement dire. On a la chance de pouvoir s’appuyer sur les travaux de la philosophe Joëlle Zask qui a clarifié ce concept de participation : il s’agit de prendre part (participer à une aventure collective et être associé à un destin commun) ; d’apporter une part (apporter sa contribution qui permet au collectif d’exister) et enfin de bénéficier d’une part (sa participation est reconnue).

Ces quelques pistes brièvement esquissées constituent des pistes permettant d’avancer vers une véritable stratégie construite et pertinente pour faire « garantir » un contexte favorable à l’engagement réel, durable et contributif des adhérents à leur(s) coopérative(s). Car il en va au fond de la « survie » effective d’un modèle qui pèse 40 % du système agroalimentaire français et la moitié de l’agriculture mondiale.

Cet article s’appuie sur une étude terrain à laquelle ont été associés Rodolphe Bonsacquet et Elsa Bonnard, ingénieurs agronomes, ayant évolué au contact de nombreuses coopératives et leurs adhérents.

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C’est ÇA merci beaucoup Nadia pour ce partage inspirant ! Ça met des mots sur des choses que je ne comprenais que confusément jusqu’ici, comme l’importance extrême de l’engagement émotionnel dans les coopératives, les collectifs et les communs en général :slight_smile:

L’essentiel est ressenti et informel, on peut rédiger les meilleurs statuts et règlements du monde, rien ne remplacera jamais le sentiment d’appartenance d’une personne qu’on salue par son nom quand elle arrive dans son supermarché et qu’on remercie pour sa contribution même minime, et qui en plus trouve en rayon les produits dont elle a besoin… « make everyone feel at home » si j’ose dire. Ou « aider chacun.e à nous rendre service » !? Bon ce sont juste des slogans mais ça correspond bien à ce qu’on ressent quand la mayonnaise coopérative prend !

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Bonjour,

C’est intéressant de faire les mêmes constats qui du coup doivent être liés à l’organisation de nos projets.
La communication sur le modèle est celui-ci : trois heures en échange du droit d’y faire ses courses. Mais un magasin coopératif nécessite beaucoup plus de travail pour fonctionner.
C’est effectivement un ressenti que j’ai eu à Ti coop (Brest) : peu de personnes sont très (trop ?) investis pour faire tourner la boutique, et beaucoup qui ne s’engagent pas au-delà des trois heures, présentées comme étant la participation nécessaire, alors qu’elle n’est qu’un minimum. Un enchaînement de faits produit un renforcement de cette mauvaise participation : ceux qui font sont peu nombreux, les nouveaux coopérateurs n’ont pas connaissance (ni conscience) du travail effectué, ce qui concentre encore plus entre les mains d’un nombre réduit d’actifs, qui lorsqu’ils partent, fatigués, désorganise la coopérative.
En résumé, il faut trouver des moyens d’élargir la participation, pour faire exister le modèle coopératif, et qu’il soit plus pérenne.
C’est la communication, la présentation et l’animation autour de ces projets qu’il faudrait améliorer.

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Bonjour ! Je ne suis pas certaine que la communication sur le modèle ‹ 3h par mois contre le droit d’y faire ses courses › fonctionne. C’est la communication que nous avons mis en place à Coopalim jusqu’ici, pourtant dans un magasin classique, on peut y faire ses courses de droit, sans cette contrepartie/contrainte de participation. Récemment nous réfléchissons à changer ce discours pour mettre des mots sur les bénéfices de faire ses courses à Coopalim, les raisons profondes qui nous poussent à nous tourner vers une coopérative alimentaire. Alors les 3 heures par mois ne deviennent que le moyen d’atteindre cet objectif, et non une fin en soi (même si pour le magasin cela revêt une importance capitale). En somme l’idée est de se mettre à la place du ou de la futur coopérateur.rice et de trouver les arguments qui vont toucher à ce coté ‹ émotionnel › mentionné dans l’article. Sachant que nous n’allons pas tous et toutes dans une coopérative pour les mêmes raisons, il faut un discours protéiforme !

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Bonjour
chouette sujet ! à l’éléfàn à Grenoble on vient de lancer un double comptage du temps avec le compteur de base pour les 3h/mois habituelles et un second compteur « épargne » qui comptabilise les heures faites en plus, il permet d’annuler ses « créneaux » ou « services » si annulés au moins 10 jours avant et à condition que l’épargne le permette - dans un 1er temps ça permet de gérer en anticipation les présences et les absences mais indirectement aussi de valoriser l’engagement…

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Bonjour à tou·te·s, à La Cagette nous avons toujours présenté la participation comme un des piliers du modèle, comme son essence même : le projet existe parce que l’on participe, sans participation pas de projet. Donc nous ne l’avons pas présenté sous la forme « 3h par mois pour avoir le droit d’y faire ses courses », mais : " Un supermarché qui appartient à ses clientes, un projet collectif auquel chaque membre participe à hauteur de 3h toutes les quatre semaines", précisément parce qu’il ne s’agit pas de " l’échange" de trois heures contre un « droit » à acquérir, mais de la participation collaborative à un projet citoyen. C’est cette participation qui permet aux membres de profiter de tout ce qu’ils mettent en place et font vivre et évoluer ensemble. Si participer 3h peut apparaître comme une contrainte à première vue aux personnes qui ne connaissent pas le modèle, le principe est très vite compris et intégré dès que l’on décrit le modèle et ses raisons d’être. La non-lucrativité est un point très important, car c’est ce principe qui fait que l’on se positionne différemment que par rapport à un projet à but lucratif : on participe à une œuvre commune, les avantages sont communs, et ne servent en aucun cas d’intérêt financier individuel, de là la participation de 3h prend tout son sens. La satisfaction est double : d’une part on peut accéder à une alimentation choisie de meilleure qualité à des prix intéressants, ce qui est un intérêt personnel, et on participe socialement à élaborer et faire fonctionner une organisation avec des valeurs qui nous font du bien : apprendre à faire société différemment. Nous mettons aussi souvent que possible en avant les points qui décrivent le fond du projet : créer des relations durables avec des producteur·rices en direct, appliquer une marge unique et transparente à tous les produits, faire ensemble, fonctionner avec un mode de gouvernance inclusif et agile, bien rigoler : on tisse du lien social dans le quartier, et aussi un projet dans lequel on peut participer et inventer au-delà des 3h. La participation (au-delà des 3h) aux comités et les besoins des comités sont des sujets dont on parle dès les premiers contacts avec les personnes qui nous rejoignent, et sur lesquels on ne cesse de communiquer et de réfléchir, maintenant que nous sommes plus nombreuses·x nous validons de plus en plus la participation effective en comité comme des services effectués.
Il est clair que le sentiment d’appartenance est essentiel à la vie de nos projets, et pour que ce sentiment vive il faut en effet sans cesse faire vivre les raisons d’être et les valeurs du projet, et c’est une réalité que cela demande beaucoup d’énergie constante et d’organisation aussi pour que les énergies ne se dissipent pas alors que les forces vives sont souvent déjà très occupées et fatiguent. C’est un défi permanent, énergivore, chronophage, essentiel.
Concernant la communication, donc la manière dont on se décrit et les messages que l’on fait passer, on a (et on continue) pas mal tourné autour du choix du vocabulaire. En effet on s’est rapidement aperçu quand on montait le projet et au fil du temps que les personnes que l’on rencontrait, et que celles qui nous décrivaient (la presse par exemple, mais aussi des personnes qui nous avaient rejoint) utilisaient des mots et des concepts utilisés couramment pour décrire ce que nous ne sommes pas. Par exemple une phrase qui peut paraître banale (ou humoristique) comme « Le supermarché dont les clients sont les patrons » nous décrit en réalité très mal puisque notre mode de gouvernance est à l’opposé de tout ce qui est entendu derrière le concept de « patron » (dirigisme, verticalité…), ou encore l’emploi du mot « travail » au lieu de « participation » n’est pas faux au sens littéral (on parle de travail bénévole) mais induit en erreur et peut avoir un impact négatif sur l’image mentale que l’on se fait du projet (quoi je dois travailler gratuitement pour faire mes courses ?), et sous-entend souvent un lien de subordination parce que c’est le cas le plus courant, alors que participer est un engagement choisi, et que nous recherchons l’émancipation et l’initiative.
Les premiers contacts avec le projet (que ce soit de personne à personne, via la communication que nous publions, ou via la presse) nécessitent toute notre attention, en effet il est bien connu qu’une chose mal perçue ou mal comprise, que la première impression peut rester en mémoire facilement et est difficile à rattraper et peut nous coller à la peau longtemps. Par exemple, si une personne a un a-priori critique ou suspicieux au premier abord, ce qu’elle retiendra avec force sera les éléments confirmant son idée préconçue (biais de confirmation confortant son affirmation de liberté d’opinion et d’analyse) alors que les éléments positifs seront souvent perçus minorés. D’où à mon avis l’importance de bien se décrire.
En résumé, globalement la ligne directrice de notre communication a depuis le début été : voilà quelles sont nos raisons d’être, nos objectifs (une alimentation de qualité accessible à tou·te·s respect des fournisseur·ses… ), ce qui nous anime à créer une alternative (ce que nous ne voulons pas, ce à quoi nous cherchons d’autres solutions), les choses que nous voulons faire différemment, puis voici les moyens que nous inventons pour y parvenir : comment on fait ? (participation, but non lucratif, marge, autogestion, etc…). L’idée étant que les personnes qui nous rejoignent le fassent (sans négliger leur intérêt pratique personnel ) en connaissance de ce que nous portons.

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Bonjour,
En relisant l’article, je vois bien la différence entre « prendre part (participer à une aventure collective et être associé à un destin commun) » et « bénéficier d’une part (sa participation est reconnue) ». En revanche, la distinction avec « apporter une part (apporter sa contribution qui permet au collectif d’exister) » me parait plus floue. Si vous avez des pistes…

Bonjour,
Pour moi « apporter une part » c’est faire profiter le collectif de ses compétences, donc par sa contribution faire monter le collectif en compétence, ce qui est différent de prendre part qui n’et pas forcément synonyme d’apporter une compétence.

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Salut en écho à mon message précédent sur notre double comptage, comment gérez vous à la cagette, les absences et retards de créneaux ?

En demandant à ces personnes de s’inscrire sur un nouveau service. En cas de gros problème sur un service sui se retrouverait avec vraiment trop peu de monde on fait appel à la « brigade solidaire ».