Salut Jean-Claude,
J’achève la lecture du livre que tu m’a gentiment apporté. Je suis donc bien obligé de te faire un retour !
Je trouve qu’il apporte des réflexions intéressantes et parle de quelques modèles qui ont l’air super. Donc pour commencer, bravo pour toutes ces beaux projets qui remobilisent les troupes. ça fait plaisir de découvrir tout ça dans notre époque de soumission et de résignation !
Cela dit, j’ai un gros doute à propos des descriptions que tu fais dans le livre pour la simple et bonne raison que je ne partage quasiment rien de ce que tu as « observé » dans les supermarchés coopératifs. Je trouve que ta présentation des modèles de supermarchés coopératifs est biaisée et que tu te permets de mettre tous les supermarchés coops dans le même sac, sans avoir fait le travail d’enquête nécessaire pour que cela se justifie. Tu arrives avec ta grille de lecture, fais quelques séances d’observation dans l’un ou l’autre des projet et conclue sur des vérités générales sur le modèle de supermarché coopératif… c’est bien dommage, vu la diversité de projets et les milliers de participants que cela recouvre.
Pour te le dire franchement, le sentiment que je garde à la lecture de ton livre est : voilà un petit manuel de propagande pour le modèle d’épicerie autogérée et une enquête à charge contre tout ce qui s’en écarte.
Il me semble que le projet de ton livre est de guider les gens qui voudraient monter un projet de vente alimentaire autogéré à choisir le meilleurs modèle. Sur ce plan non plus je ne partage pas tes conclusions.
Si j’essaye de le résumer ton propos :
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il vaut mieux faire simple que compliqué
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il vaut mieux ne pas faire de marge sur les produits
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il vaut mieux ne pas avoir de capital ni emprunter à des banques
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il vaut mieux ne pas utiliser d’informatique
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il vaut mieux ne pas avoir d’instances de décision, de salariés, d’élus, de rôles de responsabilités/pouvoir définis,
Ce sont des partis pris qui se défendent philosophiquement mais ils ont des conséquences concrète importantes pour les projet qui les suivent. Il me semble que tu élude ou que tu minimise complètement ces problèmes :
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des horaires d’ouvertures limitées et dépendante de la présence ou non de membres pour ouvrir (ce qui exclu beaucoup d’habitants)
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des locaux petits
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une gamme de produits très limitée
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des ruptures continues
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des problèmes de fraîcheurs sur les fruits et légumes/produits frais
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une impossibilité de vendre des produits ultra-frais (certains FL sont retirés de la gamme/le pain/les produits de la mer).
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un cumul des responsabilités et du travail qui se retrouve malgrès les beaux principes, très mal répartie.
Pour résumer, l’épicerie autogérée, avec toutes ses qualités par ailleurs, ne constitue qu’un point d’approvisionnement « d’appoint » pour la plupart des participants.
L’expérience humaine de tenir une épicerie autogérée doit être intéressante mais, du point de vue politique et de l’impact sur le monde qui nous entoure, elle est anecdotique. Encore beaucoup plus anecdotique que celle du supermarché coopératif qui le sont déjà beaucoup…
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les participants d’une épicerie autogérée continuent à aller massivement se fournir ailleurs (et donc nécessairement dans la grande distribution)
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la plupart des gens de votre quartier ne peuvent matériellement pas participer (horaires limitées, gamme limitée, ruptures)
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Vous n’êtes pas un débouché important pour des producteurs et vous ne participez pas n’améliorez pas leurs conditions de vie (ou alors de manière infime).
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Vous n’avez pas d’impact sur la filière et sur les producteurs de ce que vous mangez.
Pour corroborer mes propos je poste en pj des photos prises par une amie lors de sa visite dans votre épicerie le mois dernier. Il me semble que ces quelques photos montrent bien les « limites ». A l’inverse, je suis positivement épaté par les prix que vous proposez qui sont vraiment bien !
Bref, si je devais résumer mon point de vue :
Si vous voulez permettre à vos voisins (et à vous même) d’arrêter de donner de l’argent à la grande distrib, si vous voulez rediriger une partie de votre argent vers des filière agricole vertueuses, si vous voulez vous réapproprier votre circuit d’approvisionnement : montez plutôt un supermarché coop qu’une épicerie autogérée !
Pour ce qui est de l’aventure humaine, des méthodes de travail collective, je ne peux pas juger. J’ai trouvé l’aventure humaine de La Cagette géniale. Idem pour les méthodes de travail et d’organisation collective qu’on a découvert en faisant. Mais je ne saurais pas dire si c’est mieux ou moins bien que dans les épiceries autogérées !
Voilà, la polémique lancée !
Merci Jean Claude, j’espère que tu n’en attendais pas moins,




