Le désengagement des adhérents, une menace pour le modèle coopératif ? - Article mars 2023

Bonjour chère communauté !

Cet article complète pas mal je trouve le précédent publié qui vous avait fait réagir (https://forum.supermarches-cooperatifs.fr/t/cooperatives-agricoles-la-grande-panne-du-modele-de-gouvernance-article-fevrier-2023/3101), même s’il y’a des redites. Il met l’accent sur les causes du désengagement.
J’ai l’impression qu’il peut concerner tout autant les modèles food coop inspirés de la PSFC, que ceux inspirés des épiceries autogérés type Dionycoop ou bien même les EPI!

"distance, temps disponibles … des raisons qui masquent les causes profondes (du désengagement)’" . Cause et conséquence parfois se mélangent aussi dans nos perceptions. Ca peut être nécessaire à clarifier si on veut traiter vraiment les questions de fond.

"Enfin, la déception provient également d’une évaluation permanente entre la promesse faite par la coopérative, « et ce qu’on vit, notamment des violations récurrentes de cette promesse, normales dans ce type d’organisation, mais qui sont de plus en plus mal vécues »
Et nous dans nos projets, où en sommes-nous des engagements?

Plus globalement, j’ai le sentiment que derrière tout ca, c’est aussi notre rapport au collectif qui est interrogé, non ?
N’hésitez pas à faire des retours !

Nadia

Vidéo (c’est court) : Interview croisée de Xavier Hollandts et de Rodolphe Bonsacquet qui ont étudié les facteurs de désengagement des adhérents des coopératives
Le désengagement des adhérents, une menace pour le modèle coopératif ? Interview croisée de Xavier Hollandts et Rodolphe Bonsacquet - Vidéo Dailymotion

L’article :
Comment le désengagement des adhérents menace la survie des coopératives (terre-net.fr)

Depuis quelques années, le modèle coopératif fait face à un désengagement progressif de ses adhérents. Si des critiques ont pu être exprimées vis-à-vis de la gouvernance, les causes de ce désengagement sont multiples, parfois peu exprimées, mais cette désaffection menace à plus long terme l’approvisionnement des coopératives, et plus généralement la survie d’un modèle historique, riche de nombreux atouts pour les agriculteurs et la vie économique et sociale des territoires. Xavier Hollandts, professeur de stratégie, et Rodolphe Bonsacquet, consultant, reviennent sur les causes de ce désengagement et évoquent les leviers à disposition des coopératives pour enrayer cette tendance.

Organisations fondées par et pour les agriculteurs, les coopératives entretiennent avec leurs adhérents une relation forte, basée sur l’engagement des coopérateurs. Ces derniers sont à la fois détenteurs de parts sociales, apporteurs de matière première agricole, et clients, et « s’ils sont moins engagés, la coopérative peut être vidée de sa substance, et son développement économique freiné, ce qui va peser au final sur les exploitations agricoles », explique Xavier Hollandts, professeur de stratégie et d’entreprenariat, spécialiste du secteur agricole et de la gouvernance des coopératives. Or, on observe depuis plusieurs années une tendance forte au désengagement des coopérateurs.

« On constate qu’il y a de moins en moins d’adhérents aux assemblées de section, aux assemblées générales, et que ces adhérents sont moins présents sur les projets, entretiennent une relation distendue », note Xavier Hollandts, qui évoque des « signaux d’alerte » pour les coopératives.

Distance, temps disponibles… des raisons qui masquent les causes profondes

Plusieurs raisons expliquent cette désaffection. Parmi les causes plus fréquemment exprimées figurent le temps disponible des coopérateurs, « notamment quand on leur demande d’être administrateur », le niveau de compétences exigé, et la question de la distance, pour les réunions, indique de son côté Rodolphe Bonsacquet, aujourd’hui consultant en prospective stratégique, après un passé d’éleveur laitier engagé en tant que coopérateur et administrateur.

« En même temps, on considère que ce sont à la fois de vraies causes, mais aussi des signaux d’alerte pour des causes qui ne sont pas forcément exprimées », poursuit-il. Il évoque ainsi un engagement qui change de nature : « autrefois, il était institutionnel, collectif, communautaire, motivé par de grands récits auxquels tout le monde participait. Aujourd’hui, ces grands récits n’existent plus, le récit de l’agriculture qui sauve et nourrit le monde est largement réinterrogé » et l’engagement qui va avec se perd aussi, explique le consultant. Une problématique qui n’est pas propre au modèle coopératif et qui concerne d’autres grandes formes historiques d’organisation, comme les grands partis politiques.

Enfin, la déception provient également d’une évaluation permanente entre la promesse faite par la coopérative, « et ce qu’on vit, notamment des violations récurrentes de cette promesse, normales dans ce type d’organisation, mais qui sont de plus en plus mal vécues ».

Un « cercle vicieux » du désengagement

Pour mieux comprendre les conséquences de ce désengagement, Xavier Hollandts a établi une typologie des différents types d’adhérents en fonction de leur engagement.

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Typologie de l’engagement des adhérents des coopératives (©Xavier Hollandts)

Deux de ces profils posent particulièrement problème : les adhérents faisant plus ou moins acte de présence mais qui ne s’investissent jamais dans leur structure ou ne participent pas à l’effort collectif, et à l’inverse les adhérents investis sur le terrain mais peu présents dans les instances ou ne souhaitant pas exercer de fonction ou de mandat (les adhérents « discrets »). Si les coopératives ne peuvent plus compter sur ces adhérents dans leurs instances, « c’est bien un véritable cercle vicieux du désengagement qui est susceptible de se mettre en place », écrit Xavier Hollandts dans « Coopératives agricoles, la grande panne du modèle de gouvernance », un article publié sur The Conversation.

Un risque fort de dérive « autocratique » ou de personnalisation du pouvoir

« Les adhérents risquent d’être insatisfaits et d’être encore moins représentés, ce qui les conduit à ne plus croire au système politique de la coopérative et les incite à se désengager davantage au point de devenir des adhérents fantômes », vidant la coopérative de sa substance, et livrant cette dernière « au bon vouloir d’une poignée d’élus ou de dirigeants. Il y a alors un risque fort de dérive « autocratique » ou de personnalisation du pouvoir, à l’opposé des principes coopératifs, qui sont, par essence le collectif et la démocratie. », explique-t-il.

Quels leviers à la disposition des coopératives ?

Dans ce contexte, comment les coopératives peuvent-elles inverser la tendance ? Il faut « un alignement entre ce qu’on pense, ce qu’on dit, ce qu’ont fait, et bien souvent on est dans des organisations complexes, qui génèrent malgré elles des discours, des actions contradictoires qui entraînent les violations et ça, ça ne prête pas à l’engagement », rappelle Rodolphe Bonsacquet.

On a beaucoup pensé l’engagement comme quelque chose de gratuit

Par ailleurs, l’engagement n’est désormais plus aussi durable qu’avant. Les coopératives doivent davantage penser la contrepartie. « On a beaucoup pensé l’engagement comme quelque chose de gratuit, alors que ça se rémunère, et pas forcément d’un point de vue pécuniaire », ajoute le consultant. Il faut, en parallèle, reconstruire un récit de l’engagement, « raccrocher les gens à une histoire où l’engagement est une nécessité pour la vie du collectif ». Ce qui passe aussi par une autocritique de la part des coopératives qui, souvent, se concentrent sur les causes les plus superficielles du désengagement.

Or, sans contrepartie valable à leur engagement, les agriculteurs risquent de se tourner davantage vers les privés, préférant une relation strictement économique, dépassionnée, où les tenants et les aboutissants s’avèrent plus clairs, plus contractuels. Et si pour le producteur, la solution peut se révéler meilleure à titre individuel, la menace sur le modèle coopératif, à terme, est réelle, et risque de faire disparaître une forme d’organisation ancrée plus durablement sur les territoires, et collectivement plus vertueuse.

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Bonjour Nadia,

Pour compléter, connaissant bien le modèle des Epis, il y a un petit bémol dans la mesure ou l’Epi est plus petit et situé sur le lieu d’habitation et où le 0 marge rend plus attractif l’offre de produit. Il y a donc moins d’écart entre la promesse et la réalité.

Il y a actuellement une modification dans l’implication des consommateurs et c’est très récent !
On peut pointer du doigt les prix, les écarts entre les promesses et les réalités (quelles soient financières, dans le fonctionnement ou du domaine de la gouvernance) mais ce n’est pas suffisant pour comprendre ce phénomène…
Les Coopératives alimentaires autogérées qui pratiquent le zéro marge et l’absence totale de zone de pouvoir (commission, bureau, présidence, AG) constatent également une baisse de fréquentation et donc de chiffre d’affaires.
Il me semble qu’il faille cherche ailleurs qu’en interne (et même si l’interne peut jouer un rôle) les raisons de cette situation.
Après, le modèle des Epi et des Coopératives alimentaires autogérées, ayant peu de contraintes économiques, cette baisse de fréquentation n’est pas inquiétante quant à la survie de ces modèles.
Pour les DIONY COOP, je vous mets ci-dessous nos mouvements d’affaires depuis l’ouverture de la première Coop en 2015. (mouvements d’affaires sans aucune marge ajoutée).
Jean-Claude auteur du livre sur les Diony-Coop et du livre sur les différents modèles d’épiceries ouvertes par les consommateurs.

LA FERME BEL AIR LA GARE TOTAL
2015 67 780,00 € 67 780,00 €
2016 137 143,00 € 5 321,00 € 142 464,00 €
2017 160 284,00 € 38 423,00 € 198 707,00 €
2018 176 960,00 € 65 094,00 € 242 054,00 €
2019 186 680,00 € 76 917,00 € 263 597,00 €
2020 239 725,00 € 90 998,00 € 126 144,00 € 456 867,00 €
2021 175 587,00 € 79 612,00 € 171 206,00 € 426 405,00 €
2022 131 102,00 € 71 416,00 € 155 511,00 € 358 029,00 €
2023
1 275 261,00 € 427 781,00 € 452 861,00 € 2 155 903,00 €
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Et de pas mal d’articles dans le dernier numéro de la revue « Silence » qui t’a offert un sacré strapontin !

Je t’y ai trouvé plutôt vindicatif envers le modèle économique des supercoops, tu as sans doute raison de critiquer l’usage de l’outil informatique ou la complexité inhérente à la gouvernance de structures rassemblant plusieurs milliers de personnes, mais on pourrait reprendre à notre compte beaucoup des questions que tu poses, par exemple sur les relations de pouvoir au sein du collectif, nesspas…

Bref, je comprends bien la nécessaire promotion du modèle des coops autogérées, qui rend de signalés services à ses bénéficiaires, mais il n’est peut-être pas obligatoire de le faire en cherchant publiquement des noises aux coopains d’à côté :slight_smile:

Il y a un tas de situations critiques en train de se cristalliser aujourd’hui sur le climat, la production alimentaire, les relations sociales etc, dans indifférence criminelle des oligarques au pouvoir et de leurs valets politicien.nes et médiacrates. Nous autres citoyen.nes n’avons à mon avis pas d’autre ressource que de travailler ensemble à recréer des communs à tous les niveaux, et ce entre autres à travers des systèmes alimentaires participatifs !

AMAPs, Groupements d’achat, EPIs, Coops autogérées, Supermarchés Coopératifs, Réseau Vrac, Petites Cantines etc, mais aussi jardins partagés ou écolieux ou squats, on a énormément de valeurs qui nous rassemblent. Donnons le pouvoir au peuple de décider de ce qui est bon pour lui. Offrons une vache à Hillary Clinton.

Bon sinon pour être un peu plus prosaïque, tkt pas pour ta baisse de chiffre, 2020 a été une année record pour tout le monde en distribution « alternative », confinements obligent, et à mon avis on ne reverra pas de sitôt un engagement citoyen aussi massif. Ou alors on met en place la SSA une bonne fois et on en rediscute !

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Bonjour Jean Claude @RICHARD
Merci pour les données chiffrées ! C’est très intéressant. J’ai l’impression que 2022 est une année de baisse pour pas mal d’entre nous.

1/ Pourrais-tu compléter les données avec le nombre d’adhérents ?

2/ Les chiffres d’affaire du premier trimestre 2023 sont comment par rapport à 2022 ?
J’ai remarqué que les chiffres de rentrée à savoir septembre/octobre et janvier (comparés à ceux de l’année d’avant) sont plutôt une bonne boussole des tendances à la hausse ou à la baisse des mois qui suivent. Chiffres qui mériteraient surement d’être corrigés car biaisés par la forte inflation de ces derniers mois. Bien sûr, l’idée de ce suivi, étant (si besoin) par exemple de pouvoir agir assez vite en cas de baisse ‹ inquiétante ›, car il est difficile de prévoir le temps que prennent les mesures ‹ correctives › pour être suffisamment efficaces.

3/ Jean Claude, je comprends bien que selon toi, une des forces des coopératives alimentaires autogérés étant le peu de contraintes économiques (faibles charges: pas de salaires, faibles loyers etc…), le modèle te parait plus solide. Solide tout court.
Tu penses que l’absence de marge et de zone de pouvoir rend l’offre d’une épicerie autogérée si attractive que s’il y’a une baisse de fréquentation, elle n’est pas tant due à des raisons internes (à la marge) qu’à des raisons externes. C’est cela ?
Peux-tu développer : quelles seraient donc selon toi les raisons externes (et dans une moindre mesure, celles internes) qui expliqueraient cette baisse de fréquentation chez Diony-Coop ?
Quelle « modification très récente dans l’implication des consommateurs » observes-tu ?

Nadia

1/ - Dans notre collectif, il n’y a pas d’adhésion puisqu’il n’y a pas d’association active… Il y a une participation annuelle aux frais de fonctionnement (loyer, assurance, EDF, Eau) à hauteur de 20€ la première année pour découvrir et 30€ la seconda année.
Nous sommes en baisse de membres ce qui explique la baisse de Chiffre d’Affaires.
2/ - Comme comptable, je n’ai actuellement que le CA de la Coop de la Ferme. Nous avons fait 37.766€ de ventes contre 36.504€ au premier trimestre 2022. Dans notre modèle, la baisse du chiffre d’affaires n’a aucune conséquence quant à l’avenir d’une épicerie (comme pour les Epi, d’ailleurs) puisque tous les achats de marchandises sont financées par les dépôts financiers des coopérateurs en amont… A fin décembre 2022, nous avions 67.500€ de stocks dans les boutiques et tout était payé aux fournisseurs (nous n’avons ni découvert bancaire, ni emprunt bancaire, ni subvention).
3/ - Lorsque j’ai écrit un premier livre, j’ai pensé que notre modèle économique (prix bas) et politique (absence de pouvoir et liberté de faire) nous permettrait de maintenir un volant de coopérateur autour de 250 membres par épicerie… Dans deux épiceries, nous perdons des membres anciens (départ ou décès) et nous avons du mal à rééquilibrer par l’arrivée de membres plus jeune alors que St-Denis est une ville très attractive pour les jeunes de classes moyenne basse (moyenne par les études et basse par les revenus) qui ne peuvent se payer un appartement à Paris.
Dans la troisième qui est dans un quartier en pleine gentrification, nous avons trop de coopérateurs (300) par rapport à la surface (70m²) et nous avons arrêté les inscriptions.
Il y a bien entendu des causes internes qui explique la baisse de membres mais vient s’ajouter aujourd’hui des causes externes…
Quant à avoir un avis sur les causes externes,… je n’en ai pas et même si j’en avais, ça ne modifierait pas la situation !.. Il va falloir faire avec !
Jean-Claude Richard

Salut Jean-Claude,

Permets moi de te contredire encore une fois (chose que j’adore faire!). Ton postulat de départ, que les supermarchés coopératifs battent de l’aile pour toutes sortes de raisons que tu as identifié, ne semble pas s’appliquer à La Cagette.
On est en grosse croissance cette année, que soit en nombre de participants ou en chiffre d’affaire (+20% par rapport à l’année dernière). On a 1800 personnes différentes qui sont passé à la caisse sur le mois de Mars soit 400 de plus qu’en mars de l’année précédente. Nous allons probablement m dépasser les 3 millions de CA, contre 2,5M l’année précédente. Il y a une trés bonne dynamique dans nos comités… bref on est super content.e.s et on ne ressent pas du tout le changement dans l’implication des consommateurs dont tu parles.

J’imagine qu’il y a plein de bonnes explications aux difficultés rencontrées par les un.e.s et les autres depuis le covid mais ce n’est peut être pas le modèle des supermarchés coop qui pèche. J’ai même tendance à penser que notre modèle a beaucoup de qualités à faire valoir en ce moment. Par exemple le but non-lucratif, les marges réduites qui nous permettent d’attirer les clients qui n’ont plus les moyens de faire leurs courses à Naturalia ou Biocoop à cause de l’inflation, les horaires d’ouvertures large, la grande gamme de produits, et beaucoup d’autres avantages dont je vous épargne la liste ici.

Antonin, tu n’as pas lu mon livre ou alors je me suis mal exprimé… J’y dis que les supermarchés, dans des villes de + de 200 000 habitants, fonctionnent bien mais que le modèle n’est pas fait pour les villes ayant une population inférieure… Ce manque de population ne permet pas d’atteindre un nombre suffisant de coopérateurs, un chiffre d’affaires suffisant et dans la même foulée entraine une mauvaise rémunération des salarié-e-s… C’est tout !
La Cagette n’est donc pas concernée par mon analyse comme Demain, La Louve, Superquinqui ou Supercoop,…
A+ autour d’une bière à Montpellier.
Jean-Claude Richard

Merci pour ce sujet.

Les pistes de solution de l’article sont intéressantes.
Au-delà des promesses plus ou moins tenues des modèles coopératifs, à interroger ; dans un monde permettant et prônant l’individualisme tout en passant largement sous silence ses impacts et la primauté du collectif au sens large sur nos existences et sociétés, je me demande dans quelle mesure il n’est pas primordiale d’interroger et faire évoluer nos conceptions du monde – mythes. Au sein de nos structures comme plus largement…
Si on veux dépasser le stade de la consommation, c’est bien la question du sens du commun…

Quelles actions pour (se) re-convaincre de l’importance de s’impliquer ?

La présentation de deux seuls modèles « autogestionnaire-libertaire sans informatique sans réunion sans marge sans pouvoirs formels pour les trous etc » versus" supermarché-foodcoop avec organisation, emploi.s potentiel.s et impact sur un plus grand nombre de coopérateurs pour les brillantes cités etc" semble un peu réductrice, tant il semble y avoir une sacrée palette de pratiques ?

De ma petite expérience personnelle (statistiquement non-pertinente), je vois bien que plongé dans l’action il était particulièrement difficile de réellement réinterroger les choix et pratiques au vu des objectifs politiques initiaux. Y compris dans les cercles dédiés il me semble, pas évident de prendre du recul.
Éloigné physiquement de ma coopérative depuis un bon moment, puis m’éloignant progressivement tout court (temps, émotionnellement) : l’introspection s’en est trouvée graduellement facilitée.
Quel bilan ? Combien d’énergie, pour quels porteurs/compétences-outils-process et quels impacts ? Par rapport au projet politique initial, on en est où, vers où ça se dirige ?
On boucle avec le problème semble-t-il récurrent du déficit d’engagement par rapport aux besoins de nos structures et ambitions.

L’intercoop était particulièrement riche à ce titre. Que de problématiques communes à nos projets.

On a eu la chance de pouvoir abondamment échanger autour des modèles « autogérés » avec notamment les témoignages de Laurent de la crèmerie le samedi et Ludo de coop lib le dimanche. Deux modèles fortement inspirés des dionycoop.

Tout deux radicaux (dans le sens racine) mais non vindicatif bien au contraire (même si cooplib explique avec force dès le début de son manuel la différence fondamentale avec des projets dont nous sommes pour la plupart) : les avantages des échanges de visu ?

Les outils-process sont loin d’être neutres (qui plus est modérément conscientisés, compris, maîtrisés).

Passionnant.

Question pour Richard, as tu connaissance d’essaimage(s) des pratiques « autogestionnaires » à d’autres activités des membres des dionycoop ?

Bonjour Jean Claude,

J’ai lu avec intérêt le dernier numéro d’avril 2023 de la revue Silence ( On ouvre une épicerie collective ! - Revue Silence ) et ton dernier livre ‹ Les consommateurs ouvrent leurs épiceries. Quel modèle choisir pour votre ville ou votre village ? ›.

Tu es très critique envers le modèle des supermarchés coopératifs et participatifs :

  • les emplois: certains salaires insuffisants (services civiques, alternants, des temps partiels, pleins temps proches du SMIC …)
  • la gouvernance
  • la complexité du modèle (usage de l’informatique, procédures, financements, charges importantes …)
  • les prix

Concernant la gouvernance, on va plutôt s’entendre sur le constat que tu dresses. C’est celui que je fais à la Louve.
Je salue au passage le travail remarquable des thèses d’Hajar El Karmouni ( Le Travail du consommateur pour la mise en place d’une alternative : cas du supermarché coopératif la Louve ) et Alban Ouahab ( theses.fr – Alban Ouahab , Contester et Consentir : la mise au travail des membres d’une organisation alternative : le cas d’un supermarché coopératif et participatif )

Une ancienne discussion avait fait réagir ici : Coopérateur, consommateur, travailleur: l’individu en tension - Hajar EL Karmouni - Détente, discussions de comptoir - Supermarchés Coopératifs : le forum (supermarches-cooperatifs.fr).
Je suis assez sensible aux points de vigilance soulevés qui concernent les rapports de pouvoirs et de domination, et le sujet de l’émancipation.
Pour autant, est ce que comme tu le recommandes, il faille proscrire les espaces de décision (AG, comités, CA …) pour éviter une prise de pouvoir par un petit ‹ groupe ›? Je ne suis pas certaine. Je pense qu’il existera toujours des espaces de pouvoir, formalisés ou pas.

Je vais réagir plus en détail ici à ton argumentation concernant les prix.
Je pars des 5 pages de ton dernier livre, chapitre sur la Louve consacré aux prix. Je les publie ici ( Extraits livre -On ouvre une épicerie collective - Jean claude Richard - Fichiers - InterFoodcoop - Stockage de fichiers partagés ). Vu qu’il est toujours en vente, je peux supprimer si tu préfères.

Extraits (page 51 à 55):
’’ Les prix bas comme stratégie d’appel ''
(…) Sans être pointu en mathématiques, il est facile de comprendre qu’il y’a une anomalie.
Comment etre 15 à 40% moins chers que les enseignes bio tout en margeant à 20% et en sachant que la marge moyenne des magasins bio tournent autour de 32% suivant l’INSEE.
Une étude comparative entre les prix de ventes pratiqués par les coopératives Diony-Coop qui ne margent pas et des enseignes du bio devraient nous renseigner. (…) L’enseigne Biocoop propose 50 produits présents dans les Diony-coop.(…). En terme de marge, Biocoop est 40,41% plus cher que Diony-coop et inversement, les prix de Diony-coop sont 28,78% moins chers que chez les Biocoop.
(…) Nous constatons qu’une boutique qui ne prend aucune marge ajoutée sur les produits vendus est en moyenne 30% moins chère que les enseignes bio.
Il est alors évident que le modèle ‹ La Louve › ne permet pas d’être ‹ ‹ 15 à 40% mois chers que les enseignes du bio › › alors qu’il est ajouté une marge de 20% aux produits achetés et que le supermarché n’a pas de centrale d’achats pour peser sur les prix proposés par les producteurs. Bien entendu qques produits peuvent être bcp moins chers que les produits identiques à la vente dans les magasins bio ( les fromages achetés à la meule revendus à la découpe, les épices achetées en vrac, la viande de boeuf qui vient en direct d’un éleveur ) mais ces produits, à la marge, ne génèrent pas un chiffre d’affaire qui puisse influer fortement sur l’ensemble des prix affichés afin que ces derniers soient globalement ‹ ‹ moins chers › ›.
Il ne s’agit donc en annonçant des prix de ‹ 15 à 40% › moins chers, que d’une opération marketing mettant en avant qques produits à moins 40% alors que la plus grande partie des produits à la vente sont d’un prix élevé.
Et d’ailleurs cette question du prix ‹ trop élevé › a été relevée dès l’ouverture du supermarché par la majorité des membres présents (cf thèse Hajar el Karmouni)

Qques mois avant la sortie de ton livre, tu avais passé m’a t’on dit du temps avec des salariés de la Louve au supermarché. Tu n’as pas pu y faire de relevés de prix?

J’ai donc fais moi-même un comparatif de prix en juillet dernier 2022, assez intriguée par tes affirmations. Relevé les prix Louve et les prix d’un magasin physique Biocoop, Paris 17ieme, rue Legendre sur qques rayons.

Les résultats :
Rayon Légumes (31 prix relevés) : Louve 28% moins chère que Biocoop
Rayon Fruits (20) : -30%
Rayon épicerie salée (63) : -16,6%
Rayon épicerie sucrée (62) : -14,9%
Rayon Frais (86) : -20,6%
Rayon Vrac (37) : -30,4%
Rayon Hygiène/entretien (34) : -24,5%

Comme pour ton tableau de 50 produits, j’ai uniquement comparé des produits identiques (même marque).
Voici le détail pour les fruits et légumes (même origine) : Comparatif fruits et légumes juillet 2022 - Google Sheets
Il s’agit de prix relevés sur qques références par rayon. Dans un magasin particulier. A quel point est-ce représentatif d’un ensemble ? Je ne sais pas.

Tu affirmes dans ton livre que seuls qques produits ‹ à la marge › peuvent être compétitifs. Ah !
On pourrait pourtant rajouter ici des rayons ‹ phares › d’un magasin bio : le rayon fruits et légumes (rayon ‹ locomotive ›) mais aussi le frais, le vrac …
Les tarifs relevés sont 15% à 30% moins chers en moyenne. Bien sur, tout cela est très hétérogène dans le détail. Il y’a des écarts importants selon les rayons, selon les produits. Des rayons plus attractifs que d’autres.
Biocoop pratique sur certains produits des prix d’appel très compétitifs (‹ prix engagés ›) parfois même moins chers que la Louve et puis sur d’autres des tarifs bien au-dessus …
Pour donner un ordre de grandeur plus précis, sur 6,4 millions d’euros d’achat de marchandises en 2021 à la Louve, les achats de fruits et légumes bio représentaient environ 20%. Ca pèse.

Qques éléments d’explications sur ces possibles écarts de prix entre magasins :

  • la marge de 20%. Nous sommes d’accord que marge 0 c’est mieux que marge 20%. Mais ca ne fait pas tout et 20% c’est aussi un atout.
  • le prix d’achat des marchandises dont dépend aussi le prix de vente. Tu développes très peu cette partie alors qu’elle est selon moi la partie centrale de nos projets à marge fixe : comment tu achètes? Probablement la plus complexe.
  • les différences tarifaires entre grossistes. Pour un produit identique, il peut y avoir des écarts tarifaires notables d’un grossiste/fournisseur à l’autre, selon sa politique de prix, sa taille, sa nature, très généraliste, très spécialiste, les volumes achetés, les négociations spécifiques entre l’acheteur du magasin et le grossiste etc etc …
  • la ‹ patte › de l’acheteur. Il recherche, compare, fait des choix, arbitre, négocie
  • plus le magasin sera grand plus il pourra accueillir potentiellement des grossistes/fournisseurs supplémentaires. Au delà de permettre d’élargir l’offre cela peut offrir plus de marge de manœuvre pour jongler entre les grossistes, les mettre en concurrence et avoir de meilleurs tarifs sur certains produits, certaines marques.
  • la marge moyenne de 32% (source INSEE) que tu évoques est celle appliquée par le magasin bio au consommateur final. Une chaine de magasin bio type Biocoop, passe par une centrale d’achat pour une grande part de ses achats quand nous, nous achetons directement au fournisseur. Si le principe de la centrale d’achat est bien de permettre de négocier des tarifs attractifs auprès de ses fournisseurs (nous en partageons certainement des communs), elle est aussi un intermédiaire de plus qu’il faut bien rémunérer. Sa marge quand à elle, est bien opaque !

Ces explications sont très partielles. Vivement la thèse de Clotilde ( theses.fr – Clotilde Grassart, Construire une alternative durable et locale à la grande distribution ? Le cas des supermarchés coopératifs et participatifs français ) pour y voir plus clair j’espère !
Je ne suis pas acheteuse mais il y’a probablement des choses que des acheteurs chevronnés pourront compléter ou corriger ici.

Et puis la concurrence est multiple. Il y’a celle des chaines de magasins bio et le reste qui est très vaste jusque celle de la grande distribution ! Les écarts de prix peuvent être très variables d’une enseigne à l’autre.

A Paris, l’offre a explosé. Le paysage a bien changé depuis 2016, année de l’ouverture du supermarché ! L’offre des épiceries alimentaires de proximité s’est démultipliée : magasins de vrac, chaines d’épiceries de quartier éparpillées dans tout Paris et proche couronne (Miyam, les Saisonniers, le Zingam, Au bout du champ …) , magasin de producteurs, commerces bio indépendants (Pribon …) et autres projets ESS … : autant d’offres qui font la promotion du circuit court, du bio et/ou du local … au gourmand !
Certains s’en sortent pour le moment, d’autres commencent à rencontrer des difficultés comme Kelbongoo, très chouette projet qui a presque 10 ans. Produits de la ferme à prix bas à Paris : l’enseigne Kelbongoo en danger | Actu Paris.

La Fourche, site de vente en ligne de produits bio cartonne aujourd’hui.
Preuve qu’il y’avait un réel ‹ besoin › et qu’un nouveau marché s’est ‹ durablement › installé.
La grande distribution tente aussi de se faire une place. Après le rachat de la start up Potager City, plateforme de livraison de fruits et légumes, Carrefour lance cette année les magasins Potager city. Qques magasins ‹ test › ont ouvert sur paris en 2023. Saura t’elle adopter les codes et fidéliser une clientèle ?

Je trouve cela assez motivant. Ca oblige aussi à ne pas trop se reposer sur ses lauriers. J’y vois des choses très inspirantes !

Et puis, la Mairie de Paris et mairies d’arrondissement soutiennent des lieux dédiés à l’alimentation durable. Bon, c’est ponctuel. Il peut y avoir des subventions parfois conséquentes versées ici et là (pour financer des travaux, l’achat d’équipements …), des prix remis à des projets avec un chèque à la clé, des coups de pouce pour l’accès à des locaux gérés par les bailleurs sociaux. Ca aide.

Tu as fais référence à la thèse d’Hajar, concernant le constat de prix ‹ trop élevés › ‹ dès l’ouverture de la Louve ›. Je trouvais aussi cela à l’époque.
Il manque le contexte précis à ton propos. Hajar le détaille pourtant (thèse Hajar Microsoft Word - Thèse 3.docx (hal.science), page 203).
Elle décrit l’époque du supermarché qu’elle a étudié, celle des débuts. Nous avions démarré par une gamme bio, toute petite. Les fruits et légumes sont arrivés après plusieurs mois. Les différentes gammes ont mis des années à s’installer et se stabiliser. Nous n’avions pas les ristournes d’aujourd’hui non plus.

Tout cela en tant dit, est-ce suffisant pour véhiculer une ‹ image - prix › satisfaisante? Probablement pas. C’est à mon sens, une des améliorations les plus difficiles à mener dans nos projets. Mais nécessaire si on veut durer. Gagner en accessibilité. Y compris pour des modèles à marge 0 je pense.

D’autant que l’année 2022 a été fortement marquée par une forte inflation et la baisse du pouvoir d’achat qui ont clairement impacté les habitudes d’achat de bcp jusqu’aux classes moyennes. Et ca n’est pas parti pour s’arrêter !
Des arbitrages se font et on fragmente plus facilement ses achats pour mieux contrôler ses dépenses et équilibrer son budget.
Ce n’est certainement pas un hasard si 2022 a été une année de baisse pour pas mal d’entre nous, ayant plusieurs années d’ancienneté en terme de recrutement, de chiffre d’affaire, de baisse du panier moyen …
La ‹ reprise › observée ici et là depuis début 2023, ne doit pas faire oublier qu’il y’a dedans un effet mécanique de l’inflation.
C’est préoccupant tout ca mais aussi l’opportunité pour nous d’agir et rebondir !

Et puis posons directement aujourd’hui la question aux membres ! On pourrait imaginer un questionnaire précis sur la question des prix, des habitudes d’achats et de l’accessibilité avec des questions très directes (qu’allez vous chercher ailleurs ? pourquoi ? Qu’aimeriez vous y trouver ? … ).

Avoir plusieurs gammes de produits, proposer différentes alternatives et surtout pouvoir introduire des gammes moins chères (en particulier sur des produits de de base, de grande consommation), plus accessibles est un véritable atout particulièrement aujourd’hui. En particulier si nous souhaitons élargir notre public et le fidéliser.

Quelque soit la stratégie que nous adoptons pour gagner en attractivité, la partie ‹ achat › est déterminante : comment nous achetons, auprès de qui, ce que nous sélectionnons ?

Le travail de recherche et d’amélioration est permanent. Et d’expérimentation !
Et puis, une coopérative est je trouve un formidable laboratoire qui permet de comprendre au plus près les attentes des membres qui ont pleins de choses à dire … y compris ceux qui ne sont plus là !

Nadia

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Je fais une réponse à Nadia et à Clément…
Les commentaires de Nadia sont très intéressants et trop nombreux pour permettre des réponses courtes et simples… (Par exemple, pour le prix d’achat et comme nous ne nous prenons pas pour des professionnels (même si a titre personnel et dans une vie antérieure j’étais Directeur administratif et financier) nous ne négocions pas avec les fournisseurs… Soit le prix est correct et le produit se vend, soit le prix est trop élevé et le produit ne se vend pas et disparait des rayons.).
Je vous donne mon adresse Email et nous pourrons échanger… et pourquoi pas nous rencontrer.
Je suis en région parisienne à St-Denis et pour Clément, il y a longtemps que j’ai l’envie d’aller faire un tour au Mans pour voir votre épicerie…
Jean-Claude - barijo@wanadoo.fr

Bonsoir @RICHARD,

Jean Claude je te propose de poursuivre la discussion ici comme ca tout le monde peut en profiter !

J’ai l’impression parfois qu’il y’a presque autant de modèles que de projets différents tant les fonctionnements, les objectifs et surtout les priorités sont différentes.

On peut classer comme tu le fais par ‹ grandes › familles mais à l’intérieur je me rends compte que c’est très varié, chacun fait ‹ sa tambouille ›, peut emprunter ci d’une famille et ca d’une autre …

Aussi, es-tu ok que je publie dans le wiki interfoodcoop toute la partie ‹ supermarchés coopératifs › de ton dernier livre ’ Les consommateurs ouvrent leur épicerie. Quel modèle choisir pour votre ville ou votre village? ’

Une partie des articles du dernier numéro de Silence d’avril 2023 ’ On ouvre une épicerie collective !’ a été mis en ligne par l’éditeur du livre. Les voici : Silence520.pdf (editions-libertaires.org)

Nadia

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Je lis vos échanges passionnés avec admiration, si vous continuez ici ça serait super enrichissant pour tout le monde :pray:. Merci à vous pour tous ces partages.

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