Pour aller plus loin dans l’analyse, voici un article du blog d’Olivier Dauvers :
Toujust est (déjà) en redressement judiciaire - Olivier Dauvers
Je l’ai révélé hier sur mon fil X, Tazita Direction Nationale est officiellement en redressement judiciaire depuis mercredi, faute d’être parvenu à convaincre un nouvel investisseur de remettre au pot pour relancer Toujust. Si l’histoire n’est pas encore officiellement terminée (le tribunal a donné 6 mois à Fabrice Gerber, le porteur du projet), l’aventure Toujust a déjà beaucoup d’une saga tristement rocambolesque.
Le concept était séduisant et l’ambition immense (plus de 300 magasins en 4 ans). Mais Fabrice Gerber n’étant pas parvenu à valider le premier, la seconde restera du domaine du rêve. Sept mois plus tard, le réveil est rude : la branche opérationnelle de Tazita est en redressement depuis hier. Le tribunal de Créteil laisse 6 mois à l’entreprise pour tenter de se refaire une santé. Ce à quoi Fabrice Gerber veut croire, étant, selon ses dires, dans la perspective d’un refinancement à hauteur de 5 M€.
Au regard de l’activité dégagée par les 5 Toujust, qui n’atteignent pas les 1 000 € certains jours selon mes informations, la partie n’est pas très bien embarquée… pour le dire sobrement (comme je suis le seul journaliste à être revenu régulièrement dans chacun des magasins, je parle en toute connaissance de cause).
En fait, Toujust n’a jamais vraiment été au rendez-vous. A la constitution de Tazita Coop Food, la coquille juridique accueillant les participations des fournisseurs, début février 2023, il n’y avait que 20 souscripteurs, dont la moitié de grossistes. Loin de la myriade de PME fabricants de bons petits produits français annoncée. 20 souscripteurs dont un investisseur, Alain Choucair, via sa société londonienne, en possession de 55 % des parts à lui seul.
De l’aveu même de Fabrice Gerber, ses partenaires se sont rapidement fait tirer l’oreille pour mettre au pot. Mi-mai, sur les 5 M€ de capital fournisseurs attendus, Tazita n’avait encaissé que… 150 K€ dixit le fondateur (comme je l’avais révélé ici). D’autant plus gênant aux entournures que Tazita a été créé avec peu de fonds propres, mais affichait un staff et un train de vie à la hauteur de ses ambitions. L’enseigne comptait déjà deux directeurs des ventes avant même d’avoir ouvert son premier magasin, pour ne citer qu’un exemple. Et un DG (Jean-Charles Fhal) ainsi qu’un directeur achat (Stéphane Delaunay) capés dans le métier… repartis aussi vite qu’ils étaient arrivés.
L’inauguration précipitée d’Alès, avec 18 collaborateurs mais sans la marchandise escomptée, un back office folklorique (prix au kilo manquants, articles qui ne passent pas en caisse, etc.) et une promesse prix non tenue a rapidement donné le ton : après une ouverture aussi médiatique qu’euphorique, la fréquentation est retombée comme un soufflé. Deux semaines après l’ouverture, Fabrice Gerber envoyait un email sans nuance à ses cadres : « Veuillez prendre note de ce message : Notre produit frais c’est de la merde. Les assortiments sont trop grands. Nous avons de la casse à dégueuler […] La cave à vins est à démonter, le linéaire viande est à retirer, le linéaire fruits et légumes est à retirer, les bacs surgelés seront mis en froid positif avec la viande et le poisson dedans […] ». Comme disait Audiard, c’est du brutal !
La spirale infernale était enclenchée. Et le doute dans la tête de nombreux fournisseurs partenaires mué en certitude. Car faute de cash, Tazita s’est avéré un bien mauvais payeur. Avant-hier, le tribunal de commerce de Créteil a officiellement fixé au 30 avril 2023 la date de cessation de paiement. En mai pourtant, Fabrice Gerber annonçait à ses mêmes fournisseurs-actionnaires « que 7 banquiers veulent financer du bas de bilan à hauteur de 6 millions d’euros ». Et encore mieux, « 10 M€ proposés par un fond qui vient de nous signer son accord définitif avec versement des fonds sous 10 jours », contre une partie de parts de holding des fondateurs. Aujourd’hui, Fabrice Gerber explique avoir été victime d’un faux. “Oui, j’ai cru à ce refinancement, m’a-t-il expliqué hier au téléphone. Quand on vous promet 10 M€ avec un logo BNP Paribas sur le document, vous y croyez. Or c’était un faux“.
Même les prestataires de la première heure en sont donc pour leurs frais : le cabinet de recrutement qui a officié pour Fabrice Gerber fin 2022 aurait toujours 35 000 euros de factures en souffrance. Et tous les fournisseurs, des vêtements de travail au matériel en passant par la société de gardiennage et, bien sûr, des produits de toutes sortes racontent la même histoire. Des dizaines d’appels et mails de relance restés lettres mortes, des promesses de paiement non tenues, des échéanciers à rallonge, des mises en demeure. Et même des copies d’écran de virements fantômes, jamais validés en banque, pour tenter de calmer le jeu. Avec, au bout du compte, beaucoup de PME modestes dans le dur. D’où, évidemment, les problèmes d’appro XL rapidement apparus dans les magasins que j’ai chroniqués ces derniers mois (revoir ici).
Comme si cela ne suffisait pas, Fabrice Gerber voulait développer une marketplace et se lancer à l’international, faisant miroiter des demandes sur le marché asiatique, sur le continent africain, au Portugal, en Espagne, en Suisse. Il a cherché à racheter les 45 Max Plus finalement repris par Tedi en août. Et s’est lancé dans des diversifications surprenantes. Le food truck et le magasin gros volumes à Alès ont fait long feu l’un et l’autre. Encore mieux (ou pire), la centrale d’achat de Tazita a pris le contrôle avant l’été d’un de ses fournisseurs en charcuterie, Tradition et Terroir du Sud-Ouest (TTSO), une entreprise en difficultés. Avec une trentaine de personnes sur le site de l’usine à Villenave d’Ornon (33) et 5 corners exploités chez Monoprix.
Déjà mal en point, TTSO se retrouve à son tour au bord du gouffre. Les salaires d’août ont été payés en plusieurs fois. L’entreprise a des difficultés pour s’approvisionner en matière première. Faute de came, le chiffre d’affaires chez Monoprix aurait été divisé par 5 le mois dernier selon mes sources. A l’instar des offres à – 50 % sur l’alimentaire chez Toujust, c’est donc foire à 2,50 € du kilo (vous avez bien lu…) cette semaine chez TTSO/Monoprix pour faire rentrer du chiffre et du cash. Et, là encore, je peux en témoigner. Aujourd’hui à Monoprix Toulouse (où j’ai le déplacement pour le voir de mes yeux !) , dans le corner TTSO il y a du boudin, du rôti de porc et des pâtés à 2,50 €/kg (alors que les pâtés sont habituellement à plus de 15 €/kg). Tristement rocambolesque vous dis-je.